Roussel / Duchamp (1)
octobre 17, 2009 § 1 commentaire
C’est en 1912 que Marcel Duchamp rencontre l’oeuvre de Raymond Roussel. En effet, il assiste à la représentation des Impressions d’Afrique qui est donnée au Théâtre Antoine entre le 11 mai et le 10 juin, en compagnie de Picabia et de Gabrielle sur l’initiative d’Apollinaire. La pièce d’après son roman éponyme avait été jouée six mois plus tôt au théâtre Fémina. Au dires de l’auteur, « ce fut plus qu’un insuccès, ce fut un tollé. On me traitait de fou, on « emboîtait » les acteurs, on jetait des sous sur la scène, des lettres de protestation étaient adressées au directeur. » Gabrielle Buffet-Picabia garde de cette soirée le « souvenir d’un fou rire continu, et du ton grave dont il annonça l’avènement d’un nouveau Père Ubu » Duchamp resta marqué par cette représentation : « C’était formidable. Il y avait sur scène un mannequin et un serpent qui bougeait un petit peu, c’était absolument la folie de l’insolite. Je ne me souviens pas beaucoup du texte On n’écoutait pas tellement. »
Donc il y avait un serpent ! Était-ce un crotale, un boa ou un autre ? C’est le caractère visuel de la pièce qui saisit d’abord Duchamp. Roussel n’avait pas ménagé ses effets, ni sur scène, ni dans les publicités qui annonçaient son spectacle.Une bande dessinée placardée sur les murs de Paris, présentait en effet les scènes principales :
- Le ver de terre joueur de cithare
- Le nain Philippo dont la tête anormalement développée égale en hauteur le restant de l’individu
- L’unijambiste Lelgoualch jouant de la flûte sur son propre tibia
- Djizmé volontairement électrocuté par la foudre
- La statue en baleines de corset roulant sur des rails en mou de veau
- L’orchestre thermomécanique à bexium
- L’horloge à vent du Pays de Cocagne
- Les chats qui jouent aux barres
- Le mur de dominos évocateur de prêtres
- Le caoutchouc caduc contre lequel repose à plat le cadavre du roi nègre Yaour IX classiquement costumé en marguerite de Faust
- Les poitrines à échos des frères Alcott
- Le supplice des épingles
Le bexium ? Vous ne connaissez pas ? Voici la définition donnée par Raymond Roussel :
Suivant un court passage du manuscrit, Roméo attachait au cou de Juliette réveillée de son sommeil léthargique un riche collier de rubis, destiné d’abord, dans la pensée de l’époux, à orner seulement le froid cadavre de la bien-aimée.
Ce détail fournit à Bex l’occasion d’utiliser un baume de sa façon, dont l’emploi lui avait toujours réussi au cours de ses savantes triturations.
Il s’agissait d’un anesthésiant suffisamment puissant pour rendre la peau indifférente aux brûlures ; en appliquant sur ses mains cet enduit protecteur, Bex pouvait manier à n’importe quelle température certain métal inventé par lui et baptisé le bexium. Sans la découverte antérieure du précieux ingrédient, le chimiste n’aurait pu mener à bien celle du bexium, dont la spécialité réclamait justement d’extrêmes variations thermiques.
Pour remplacer le collier de rubis introuvable à Éjur même en imitation, Bex proposait plusieurs charbons ardents attachés à un fil d’amiante qu’il se chargeait de fournir.
Quand Marcel Duchamp dit avoir vu un serpent sur scène avait-il confondu avec le ver de terre joueur de cithare ? L’énigme reste entière.
Roussel / Duchamp (2)
octobre 18, 2009 § Poster un commentaire
Donc Duchamp assiste à la représentation des Impressions d’Afrique en 1912. Il dit qu’il fut, alors, peu attentif au texte. Quand il le lut, plus tard, voici ce qu’il en dit : « Roussel se croyait philologue, philosophe et mathématicien. Mais il reste un grand poète » Duchamp ne connaissait pas, au moment de la représentation le procédé de Roussel.
confiera-t-il lors d’un entretien avec Alain Jouffroy de nombreuses années plus tard.
Duchamp reconnaît Roussel comme fondamentalement responsable de la Mariée mise à nue par ses célibataires, même.
Ce sont donc les Impressions d’Afrique qui confortent Duchamp dans son projet d’abandonner le caractère rétinien de la peinture.
C’est en 1932 que Roussel se met à jouer aux échecs. Au bout de trois mois et demi, (il a) trouvé la méthode concernant le mat si difficile avec Fou et Cavalier., méthode qu’il expose dans Comment j’ai écrit certains de mes livres. C’est précisément en 1932 que Duchamp aperçoit Roussel jouant aux échecs au Café de la Régence, place du Palais Royal. il n’a pas osé se présenter. «
Il avait l’air très « collet monté », faux col haut, habillé de noir, très, très avenue du Bois, quoi ! Sans exagération. Une grande simplicité, pas voyant du tout. À cette époque-là, j’avais eu un contact par la lecture, le théâtre, ça me suffisait pour penser, je n’avais pas besoin d’entrer dans son intimité. » On sait la passion que nourrissait Duchamp pour le jeu d’échecs, passion si intense qu’il abandonna un certain temps l’art pour ne se consacrer qu’à elle.
et passent une nuit au Grande Albergo delle Palme, l’hôtel mythique où décéda Raymond Roussel le 14 juillet 1933. Une sorte d’hommage/pèlerinage.
Lors d’un voyage en Italie en 1963, Marcel Duchamp et Teeny visitent Palerme