Retour du Pays Doré
juin 25, 2009 § 3 Commentaires
J’étais loin du blog, d’internet, sans radio depuis quelques jours, j’étais au Pays Doré.
Alors, qu’est-ce que j’ai bien pu faire de tout ce temps ? J’ai notamment lu Les Onze de Pierre Michon. Une belle lecture, comme d’autres parlent d’une belle personne…
J’ai bricolé et pour occuper mes oreilles pendant que mes mains l’étaient, j’ai écouté des émissions que j’avais podcastées l’été dernier sur France-Culture (les grandes traversées) : une semaine sur François Truffaut (oui, le bricolage m’a pris un certain temps !) Et puis, il y a eu la Saint-Jean. avec le traditionnel aligot, le bal (accordéon, cabrette et batterie)
et enfin le feu.
Sur le plateau, on apercevait de loin en loin des bûchers qui trouaient la nuit.
Et puis, il a fallu revenir, se reconnecter avec le monde… La radio dans la voiture m’apprit qu’il y avait eu un remaniement ministériel, qu’un ancien commentateur de la télévision spécialisé dans les événements princiers, les enterrements de têtes couronnées et les mariages royaux était devenu Ministre de la Culture. Non, pas Léon Zitrone (il est mort), ni Stéphane Bern, mais Frédéric Mitterrand, le neveu de qui vous savez.
Au fur et à mesure que je me rapprochais de chez moi, les routes étaient embolisées par des campings-cars, dont la prolifération m’inquiète car je vois là un signe absolument évident de l’expansion de la bof-attitude.
Arrivée ici, le vacarme des cigales…
Déconnectez-moi !
Pour la photo de Michon © Ophélie Jaësan.
La règle du jeu (Renoir – 1939) – 10 et fin.
juin 4, 2009 § 1 commentaire
«Je m’incline devant le commerce!»: scandalisé, Renoir capitule devant ses commanditaires qui le somment de ramener son film de 113 à 100 minutes (sept scènes sont coupées!). Ils ont peur en effet de ce film «pas comme les autres»– slogan publicitaire inventé pour sa sortie.
Leurs craintes sont justifiées. Lors de la première, au Colisée à Paris, le public «chic» provoque une émeute alors que le public populaire de l’Aubert Palace s’en tient aux sifflets. De nouvelles coupes sont opérées, le film passe à 90, puis 85 minutes. «Stupéfait» par la haine qu’a provoquée son œuvre, Jean Renoir s’en prend d’abord à lui- même et supprime des séquences où il apparaît. En vain. Le propos du film a déplu: «Le public n’aime pas être démystifié», expliquera plus tard Renoir. Plus prosaïque, le critique Georges Sadoul émettra l’hypothèse selon laquelle Renoir, gênant en raison de son statut de producteur indépendant et dans sa façon de pourfendre le (beau) «monde», fut victime d’une cabale.
Dans la presse, la critique est partagée. D’un côté, il y a ceux (minoritaires) qui n’hésitent pas à classer La Règle du jeu au rayon des «monuments du cinéma parlant français»; et il y a les autres qui sombrent dans l’insulte inepte: «une mauvaise plaisanterie de fils à papa démagogue», ou la myopie: «un mémorable ratage comme La Belle Équipe de Duvivier et Le jour se lève de Carné»… Plus symptomatiques et plus graves, les attaques antisémites du duo Brasillach-Bardèche fustigeant Marcel Dalio, le formidable interprète du marquis de La Chesnaye : » Plus juif que jamais … qui est d’une race qui ne chasse pas, qui n’a pas de château, pour qui la Sologne n’est rien».
Sorti le 7 juillet 1939, le film tient son exclusivité durant trois semaines mais est joué dans d’autres salles jusqu’à la déclaration de la guerre le 4septembre. Ce qui l’empêche de connaître une carrière en province et à l’étranger: comme une centaine d’autres films, il est jugé «démoralisant» et donc interdit. Une mise à l’index qui se poursuivra durant l’Occupation.
Après cette sortie en forme de déroute (sa société fit faillite), Jean Renoir, écœuré, songea à abandonner le cinéma. Démobilisé, il partit en fait pour l’Italie, afin de travailler sur une adaptation de La Tosca, puis pour les États-Unis. Il ne reviendra travailler en France qu’en 1955 pour réaliser French Cancan.
Alors qu’en 1942, un bombardement avait détruit le négatif de la version originale, le film, amputé, ressortit sans succès en 1945. Ensuite les ciné-clubs vont, durant une vingtaine d’années, entretenir la flamme en montrant l’œuvre dans l’une ou l’autre des copies tronquées.
En 1959, deux cinéphiles, Jean Gaborit et Jacques Durand reconstituent miraculeusement le film dans sa forme première grâce à des chutes et des copies glanées de-ci, de-là. Il leur a fallu par exemple mixer la bande-son de telle pellicule et l’image de telle autre, atténuer les différences de ton entre les tirages, etc. La Règle du jeu renaît donc, mais ne sort dans sa version restaurée qu’en 1965 où elle obtient enfin la reconnaissance.
«La Règle du jeu est certainement, avec Citizen Kane, le film qui a suscité le plus grand nombre de vocations de metteurs en scène.» Cette phrase de François Truffaut indique bien la place qu’a prise par le film dans le cœur et la tête d’une génération entière de cinéphiles, grâce notamment à André Bazin, leur père spirituel.
La règle du jeu (Renoir -1939) – 6
mai 31, 2009 § Poster un commentaire
La fête de la Colinière est l’une des nombreuses scènes de théâtre de l’œuvre de Renoir qui, de 1954 à 1960, a également mis en scène et écrit des pièces de théâtre. Avec toujours la même question essentielle: «Où est la vérité? Où commence la vie? Où donc finit le théâtre?» Pas de frontière nette entre réalité et illusion, mais, comme le dit Serge Daney, un no man’s land, «une zone d’interférence, la théâtralité, qui pose le problème du vrai et du faux». Pour Renoir comme pour Shakespeare («Le monde entier est une scène»), toute vie sociale est spectacle.
La fête de la Colinière avec les personnages «amenés à se déguiser, c’est-à-dire à ôter leurs masques» comme disait Truffaut,. Geneviève, par exemple, est costumée en bohémienne, donc en nomade, mal fixée dans cette grande bourgeoisie – signe de la précarité de sa situation de femme entretenue;
Jurieu, en dompteur d’ours maniant le fouet, trahit des pulsions qu’il cache avec soin, et peut-être des opinions autoritaires (des grands aviateurs comme Lindbergh ou Mermoz affichaient alors leurs sympathies pour l’extrême droite); Octave, metteur en scène involontaire de la tragédie finale, est mal à l’aise dans sa peau d’ours: c’est un solitaire, vu par les autres comme un rustre balourd mais gentil or lui aussi est capable de méchanceté ou d’égoïsme. Ou si l’on retourne la perspective: Octave voudrait bien donner un coup de griffe à cette société qui l’oblige pour survivre, en tant que parasite, à être aimable. Que Renoir lui-même joue le rôle n’a rien de secondaire, lui qui mettra en scène Le Testament du Dr Cordelier, avec le dédoublement entre le bon docteur et son double monstrueux.
Au cours de la chasse, la scène de la lunette, métaphore possible de la caméra, où Christine aperçoit de loin le baiser de Robert et Geneviève – en fait un baiser d’adieu qu’elle interprète faussement: elle a pris pour «une image juste»ce qui était «juste une image»(Godard). L’objectif d’une caméra n’a donc rien d’objectif puisque toute image est vécue comme représentation.
Le numéro 100 du Matricule des Anges
février 5, 2009 § 3 Commentaires
Au cas où cela aurait échappé à certains, la revue littéraire Le Matricule des Anges (LMDA) existe depuis 1992 ou plus exactement depuis 100 numéros. Thierry Guichard son valeureux rédac’ chef a sombré dans la commémoration… Il n’aimerait que je dise ça, mais quelque part, il doit être sinon fier, du moins satisfait d’avoir mené la barque du magazine littéraire à travers les tempêtes. Pour faire la fête, (on attend toujours la tournée générale !), il a demandé à aux collaborateurs de la revue « Pourquoi écrivez-vous de la critique littéraire? », à 40 auteurs (Non ! Pas les voleurs ! ) et aux lecteurs de répondre à la question « Quelle critique littéraire attendez-vous ? »
En ce qui concerne les auteurs je vais citer des extraits des réponses faites par quelques-uns qui ne sont pas choisis par hasard mais plutôt en fonction de mes goûts en la matière :
Éric Chevillard :
Mais je veux une critique littéraire à ma botte, exaltée, fanatique, qui sache dégager subtilement le dessein secret de ma grande oeuvre, sa radicale nouveauté, les mille intentions qui l’ordonnent, les finesses de style et de pensée dont elle est constituée et quelques autres encore que j’aurais étourdiment omis d’y inclure et qu’elle inventera pour moi…
Éric Faye :
I – Tu seras à la fois juge et partie, tel Yann Moix qui, sublime plume, signe à la fois des romans de haut vol et, dans le Figaro courageusement publie des critiques sur de jeunes auteurs inconnus comme Guy Bedos.
Lydie Salvayre :
Petit aperçu de critiques suscitées par la publication en 1857 et 1861 des fleurs du Mal de Monsieur Charles Baudelaire, d’où il ressort qu’il est préférable d’être jugé par Messieurs Gustave Flaubert et Victor Hugo, génies incontestables, que par Monsieur Gustave Bourdin, lequel n’a laissé dans l’histoire littéraire que le straces de sa bave…
Régis Jauffret :
Être un écrivain vivant est toujours plus doux que d’être un squelette sanctifié. Si je savais qu’un de mes livres me survive, je le poursuivrais de ma haine, car il est si rassurant de se dire qu’après soi ni être ni bouquin ne continueront à se pavaner, alors que la fête sera finie pour nous.
Enrique Vila-Matas :
Même si, je l’admets, il a pu m’arriver de manifester à l’égard de la critique une certaine ironie, je n’en demeure pas moins convaincu de sa nécessité absolue.
Christophe Honoré :
Qu’elle vise juste !
Pierre Autin-Grenier :
(…)
Quelques lecteurs ont aussi répondu à la question. Normal ! Que vaut la critique si elle ne s’adresse pas aux potentiels lecteurs, spectateurs de cinéma ou de théâtre ? Voici ma contribution parmi d’autres :
Je pense souvent à cette scène du film de François Truffaut, L’amour en fuite. Antoine Doinel accompagne son fils à la gare de Lyon et lui donne ses derniers conseils avant que le train démarre :
– Travaille bien ton violon, Alphonse. Si tu travailles bien et si tu es doué, tu deviendras un grand musicien.
– Et si je travaille mal ?
– Si tu travailles mal et si tu fais plein de fausses notes, et bien, tu seras critique musical.
À travers son personnage, son double fictionnel, François Truffaut fait une allusion à peine déguisée au 7e Art. Lui-même critique avant d’être réalisateur, peut-être voulait-il dénoncer une profession composée de gens qui ont une connaissance technique, théorique du cinéma sans oser s’y frotter concrètement ? Par manque de talent ? C’est ce qu’il insinue par la bouche de Jean-Pierre Léaud. Peut-être par manque d’audace ?, pourrais-je ajouter.
Si je fais glisser sa réflexion vers le domaine littéraire, la critique ne serait faite que par des écrivains ratés ? Céline ne se privait pas de l’écrire : « Ce sont les ratés les plus rances qui décrètent le goût du jour ! ». Si cela était le cas, pourquoi écouterions-nous encore les avis d’untel ou d’unetelle, la frustration n’entraînant pas l’impartialité, faussant le jugement, aigrissant le meilleur de l’humain. Bien sûr, certains s’exercent parfois à porter les deux casquettes, sans grand talent d’un côté, sans grande crédibilité de l’autre. Que demande-t-on à la critique littéraire, sinon une lecture anticipée, lucide, et passionnée de ce que nous trouverons sur les rayons des libraires ? Si je la juge sincère, je lui accorde ma confiance. Mieux qu’une quatrième de couverture insuffisante ou erronée, la critique me guide, m’aide à faire des choix, des découvertes, m’invite sur des chemins qui m’étaient jusque-là inconnus.
Pour en revenir au film, L’amour en fuite, Antoine Doinel est l’auteur d’un roman, Les salades de l’amour – une auto-fiction, dirait-on aujourd’hui – dans lequel il raconte ses amours passées. On ne sait pas ce que la critique en a pensé, mais Colette, son ex, le trouve chez un bouquiniste, un an après sa parution. Ce n’est pas bon signe…
Le numéro 100 du Matricule est double car en plus de tout l’aspect commémoratif (TG ne va pas être content du tout que je dise ça !), il y a un vrai numéro avec Chloé Delaume en vedette, où l’on parle aussi des géniales éditions du Chemin de fer et de plein d’autres choses.
Pour qu’on fête le 200 ème numéro…