De fil en aiguille ou de coïncidence en coïncidence (2)
novembre 22, 2009 § 4 Commentaires
Les souvenirs vous habitent longtemps après les avoir remués.
Près de la gare d’Asnières, j’ai revu la rue Saint-Saëns, celle qu’habitait ma tante, celle où je passais mes vacances. On m’avait dit que la rue s’appelait ainsi car le musicien l’aurait habitée. Je n’en trouve nulle trace aujourd’hui. Pourtant je l’ai cru. La rue existe même si…
L’immeuble où habitait la tante qui m’accueillait n’a pas pris une ride (il les avait déjà prises quand j’étais enfant). À proximité, du côté de la gare d’Asnières, les bistros sont toujours là, la boulangerie la même (le pain y est-il meilleur ?). Dans sa rue, rien n’a changé ; le calme absolu, total, angoissant est toujours le même.
Je vis tout cela, et repartie chargée et cependant légère, d’avoir renoué, l’espace d’un instant avec un pan important de mon enfance.
Mes souvenirs ont continué de cheminer.
Dans les jours qui suivirent, je me souvins avoir joué à Philippine, avec ma tante de Courbevoie et n’avoir joué à ce jeu qu’avec elle.
Sur le blog de Laure Limongi, Gérard Genette définit ainsi ce jeu :
Philippine. Autant que je m’en souvienne, on appelait “ faire philippine ” le fait de trouver, imbriquées comme des fœtus jumeaux dans leur nid commun, deux amandes, dites alors “ amandes philippines ”, dans la même coque ; ou plutôt, le rite à deux qui s’ensuivait, et qui consistait à dire “ Bonjour Philippine ! ” sous je ne sais plus quelle condition, pour gagner je ne sais quoi – un baiser, peut-être. Le plus mystérieux était évidemment la relation entre la chose et le mot, dont j’ai su bien plus tard qu’il procédait simplement, par fausse étymologie, de l’allemand Vielliebchen (bien aimé). Ce qui d’ailleurs n’explique rien.
Je ne parlais pas allemand à l’époque, et il n’était pas question de baisers, juste de souhaits qui seraient exaucés pour la première qui dirait : « Philippine » le lendemain du jour où on avait trouvé des amandes jumelles. J’y croyais.
À mon retour, je décidai donc de visionner un film de Jacques Rozier, par association d’idées, Adieu Philippine. J’avais la chance d’avoir le coffret de l’intégrale de ses films, chez moi.
Bien sûr, il y a deux filles autour du même mec, les amandes jumelles en quelque sorte. Une sorte de Deux Anglaises et le Continent. À un moment dans le film, il est fait allusion à ce jeu.
Dois-je rappeler qu’il date de 1960 et qu’il est infiniment « nouvelle vague » et aussi très politique ?
La guerre d’Algérie est derrière la légèreté apparente des trois personnages. Une façon de contourner la censure de l’époque.
Alors que les trois jeunes gens sont en Corse en vacances, Michel reçoit sa feuille de route pour partir en Algérie. Pour cela, il doit se rendre à la caserne Charras, à Courbevoie. Nous y voilà…
à suivre…
De fil en aiguille ou de coïncidence en coïncidence (1)
novembre 22, 2009 § 6 Commentaires
Si l’on veut faire référence à Breton, on parlerait de hasard objectif, d’autres parleraient plus simplement de coïncidences, quand, à partir d’un lieu, les signes s’enchaînent pour vous y ramener inexorablement par la pensée. C’est ce que j’ai pu observer avec un certain plaisir mêlé d’étonnement ces derniers jours.
Le lieu en question n’a rien d’exotique, de mythique ou de mystique. Il relèverait plutôt du banal si des signes, des enchaînements de hasards, de coïncidences, ne le faisaient pas sortir de l’ordinaire – en ce qui me concerne, s’entend.
Le week-end dernier, je suis allée chez mon fils qui vit à Courbevoie (92). Le hasard du boulot (1er hasard) l’a fait s’installer dans cette commune de la banlieue ouest de Paris. Il l’a fait sans vraiment savoir que moi, sa mère, j’avais passé pendant des années, des vacances, précisément à Courbevoie, chez une tante, lorsque j’étais enfant.
Le Courbevoie de mon enfance n’est pas dans le même quartier que le Courbevoie qu’il habite.
Le sien, il est plutôt du côté de la place Charras, proche de la gare de Courbevoie.Le mien était limitrophe avec Asnières, à deux pas de la gare, de ladite commune.
La proximité de l’endroit m’a incitée à aller sur les lieux à la fois familiers et pourtant devenus lointains dans mes souvenirs; je n’y étais pas retournée depuis plusieurs dizaines d’années.
L’opportunité se présentait. J’avais envie de la saisir.
Je décide donc de me rendre à Asnières, enfin à Courbevoie près de la gare d’Asnières …
Malgré le fait que les deux communes soient voisines, il est nécessaire de faire un changement (je préfère dire une escale) à la gare de Bécon-les -Bruyères. Ce nom de Bécon-les-Bruyères qu’enfant je transformais en Bécon-les-Gruyères (pas très subtil, je l’avoue), n’était qu’un nom étrange et mémorable, et n’existait pour moi qu’ainsi. En effet, sur la ligne Saint-Lazare/Versailles-rive-droite je n’étais jamais allée en aval d’Asnières.
Donc, ce jour-là, je découvrais que Bécon-les-Bruyères était un lieu qui existait bien. Quoique…
C’est une gare, certes, mais en fait, ce n’est pas une commune. Il s’agit d’un regroupement de quartiers de trois communes différentes : Courbevoie, Asnières, Bois-Colombe.
Bécon-les-Bruyères est un nom, qu’un nom et pas plus.
à suivre...
La lutte des classes à la chinoise
avril 21, 2009 § 4 Commentaires
Je n’ai guère l’habitude de parler des films que je vois au cinéma dans ce blog. D’une part, j’en vois beaucoup (en moyenne deux par semaine) et mes critiques envahiraient l’espace et je considère que beaucoup le font mieux que moi, même si je dois reconnaître que j’ai du mal à les suivre parfois quand ils sont unanimement dithyrambiques sur Gran Torino -film qui pour moi ne vaut pas une roupie – et encensent OSS117, comme j’ai pu l’entendre l’autre soir au Masque et la Plume. Là je vais faire une exception.
Passant devant un cinéma, j’ai vu que 24 CITY était au programme, cela faisait un mois que j’attendais de le voir sans avoir trouvé le temps de le faire et avant qu’il ne soit plus à l’affiche, je me suis engouffrée dans la salle obscure.
Total ? 1h47 absolument happée par l’écran.
L’histoire est celle d’une usine d’armement en Chine (l’usine 420) qui est démantelée pour en faire un projet immobilier de luxe (24 City). Ce genre de sujet traité par exemple par Ken Loach aurait sombré dans le lourd, le pathos, le larmoyant, le manichéen. Mais, c’est là justement que réside tout l’art de Jia Zhang-Ke, art qu’on avait pu apprécié dans le précédent Still Life.
Il s’agit d’une suite de témoignages d’anciens ouvriers de l’usine. Plusieurs générations s’y sont succédées, leurs histoires, leurs drames sont racontés par ces anciens ouvriers , mais aussi le réalisateur fait intervenir la fiction par la bouche d’acteurs qui ponctuellement jouent aussi les témoins de l’usine 420. c’est très subtilement fait ce mélange de réalité et de fiction. Puis, le décor de l’usine en démantèlement est filmé magistralement, à la recherche permanente de l’esthétique d’un lieu dont les âmes de ceux qui l’ont fréquenté sont encore visibles. Les témoignages sont troublants, témoignages de la vie personnelles (car souvent la famille entière dépendait de l’usine = les enfants y étaient scolarisés), de la vie au travail. Une femme raconte comment elle et ses collègues ont été licenciées au détour d’un plan économique en les invitant toutes à faire un bon repas et on se dit que s’ils avaient usé du bossnapping, car le rapport de force était en leur faveur, l’histoire économique de la Chine ne serait pas celle que l’ont connaît. Jia Zhang-Ke filme magistralement les foules, les architectures, les machines, le travail. Les plans sont à chaque fois d’une force esthétique qui bouleverse. Le plan de fin laisse muet : l’usine est enfin démolie dans un grand nuage de poussière qui envahit l’écran. La fin d’un monde où la 24 City, cité de luxe, va pouvoir s’édifier dans une Chine vouée au fric.
Les lectures, les films se rejoignant parfois dans d’étranges coïncidences, je voudrais citer un extrait de Nadja que j’ai ouvert à la sortie de la séance, un extrait pour tous ces ouvriers anonymes de l’usine 420 :
Je sais qu’à un four d’usine, ou devant une de ces machines inexorables qui imposent tout le jour, à quelques secondes d’intervalle, la répétition du même geste, ou partout ailleurs sous les ordres les moins acceptables, ou en cellule, ou devant un peloton d’exécution, on peut encore se sentir libre mais ce n’est pas le martyre qu’on subit qui crée cette liberté.
Vila-Matas, Sophie Calle, Karla Olvera et moi…
octobre 9, 2008 § 5 Commentaires
Il m’arrive souvent de parler de chemins qui nous emmènent vers des territoires littéraires et artistiques. Sur ces chemins, on croisent d’autres vagabonds de notre espèces. C’est le cas de Karla Olvera , cette auteure-traductrice mexicaine, venue passer deux ans en France du côté de Tarascon. Puis, elle est repartie chez elle et le courrier (postal un peu mais très lent..) et surtout électronique a permis que nous continuions nos conversations entamées de ce côté-ci de l’Atlantique.
Hier, je suis allée à la poste chercher un recommandé qui m’attendait depuis une semaine. C’était un envoi qui venait du Mexique ! C’était le dernier numéro de le revue Replicante, revue dans laquelle Karla avait écrit une chronique :
La extravagante e interminable persecuciòn azarosa-objetiva que me han propinado Enrique Vila-Matas y Sophie Calle.
Karla déroule de janvier 2006 à avril 2008 une chronique où elle raconte comment dans sa vie s’immiscent Sophie Calle et Vila-Matas. Elle parle de hasard objectif à la manière Breton plutôt que de chemins comme je le disais plus haut.
Pourquoi parle-t-elle de moi dans cette chronique ? Une première fois, lors de la lecture de « Explorateurs de l’abîme » dudit Vila-Matas, je lui avait demandé des explications quant à certains termes dont la traduction me paraissait bizarre. Elle m’avait répondu qu’elle avait rencontré à Arles lors d’un colloque de traducteurs, André Cabastou, le traducteur de Vila-Matas. Elle avait assuré qu’il était parfaitement fidèle au texte original. Cependant je lui avais fait remarqué qu’il était question de « légion du genou » au lieu de « lésion du genou », faute qu’il fallait plutôt imputer à l’éditeur même.
Puis, ensuite, elle faisait allusion dans un second paragraphe à l’expérience que j’avais faite à Paris ( 1, 2,3) me mettant dans la peau de Vila-Matas et partant à la rencontre de Sophie Calle. Rencontre jamais concrétisée.
Puis, j’avais visité l’exposition « Prenez soin de vous » , j’avais eu cette chance. Elle, elle s’était fait envoyé au Mexique le catalogue :
Recibì un paquete bastante grande y relativamente pesado.
écrit-elle dans sa chronique datée du 10 mars 2008.
Dans la suite des hasards objectifs qu’elle énumère (Mais en est-ce vraiment un ? ) elle ne parle pas de la rencontre, la vraie, qu’elle a enfin faite avec Enrique Vila-Matas. Lire ici
Karla Olvera a concrétisé le fantasme d’une rencontre, alors que moi, je n’y étais pas arrivée avec Sophie Calle. Dans les deux cas, il n’est pas interdit d’en faire le récit.
Breton à Avignon
juillet 22, 2008 § 3 Commentaires
La série continue : après Roberto Bolaño, retrouvons les traces d’André Breton à Avignon, dans NADJA :
Ce n’est pas moi qui méditerai sur ce qu’il advient de « la forme d’une ville », même de la vraie ville distraite et abstraite de celle que j’habite par la force d’un élément qui serait à ma pensée ce que l’air passe pour être à la vie. Sans aucun regret, à cette heure je la vois devenir autre et même fuir. Elle glisse, elle brûle, elle sombre dans le frisson des herbes folles de ses barricades, dans le rêve des rideaux de ses chambres où un homme et une femme continuent indifféremment de s’aimer. Je laisse à l’état d’ébauche ce paysage mental, dont les limites me découragent en dépit de son étonnant prolongement du côté d’Avignon, où le Palais des Papes n’a pas souffert des soirs d’hiver et des pluies battantes, où un vieux pont a fini par céder sous une chanson enfantine, où une main merveilleuse et intrahissable m’a désigné une vaste plaque indicatrice bleu ciel portant ces mots : LES AUBES.
Quand Breton parle de « la forme d’une ville » il fait allusion au poème de Baudelaire, le cygne : la forme d’une ville/ change, hélas, plus vite que le coeur d’un mortel.
Quand Breton écrit Nadja, il s’est rendu une première fois à Avignon, le 20 novembre 1927, lors d’une escapade dans le midi avec Suzanne Muzard, la maîtresse qu’il a enlevé (provisoirement) à Emmanuel Berl. C’est cette étape qui lui inspire ce passage de Nadja.
Il y retourne le 20 mars 1930 avec Claire (une danseuse du Moulin-Rouge) et descend à l’hôtel Régina. Il est rejoint par Char et Éluard. C’est au cours de ce séjour qu’ils écriront l’ouvrage collectif Ralentir travaux.
Par la suite, il y retourne notamment, durant l’été 1931, avec Valentine Hugo qui prendra la photo de la vaste plaque indicatrice bleu ciel portant ces mots : LES AUBES. Je précise que ce le chemin des Aubes se trouve sur l’île de la Barthelasse. Il devait s’agir du panneau d’une guinguette qui n’existe plus de nos jours. (Baudelaire avait raison, la forme d’une ville change, hélas, plus vite que le coeur d’un mortel.)
En parcourant Avignon en ce moment, pas de trace de Breton… mais des prospectus, des affiches, des parades, pour la promotion du millier de spectacles « off » présentés, la cohue d’une foule curieuse et souvent indécise, des personnages plus ou moins sympathiques, même franchement pervers, qui profitent de l’anonymat que leur offre la multitude, des porteurs de pseudo-panama et pantalon de lin avec le programme sous le bras, des spectacles off du off qui s’improvisent dans la rue… Quelle est la forme de cette ville, en ce moment ?
Quand Breton rencontre Césaire…
avril 17, 2008 § 4 Commentaires
La rencontre d’Aimé Césaire est, à coup sûr, encore moins du goût des autorités. Deux ans plus tôt, le poète de la négritude a publié Cahier d’un retour au pays natal, superbe chant de protestation contre la domination culturelle et politique blanche que Breton qualifiera plus tard de » plus grand monument lyrique de ce temps « . Césaire, alors âgé de vingt-huit ans, professeur au lycée de Fort-de-France, vient de fonder la revue littéraire Tropiques, et c’est ce magazine qui retient un matin l’attention de Breton dans une boutique de la ville. « Je n’en crus pas mes yeux, écrira-t-il : mais ce qui était dit là, c’était ce qu’il fallait dire ! » La commerçante, qui connaît Césaire, accepte de lui porter un message et le lendemain Breton a son premier entretien avec le jeune poète. Il passera ses derniers jours à la Martinique à parler avec lui de la littérature et des traditions antillaises et à découvrir la flore de l’île en sa compagnie. Son guide dira que cette époque fut pour lui « tout à fait cruciale, déterminente ». « Si je suis ce que je suis, je crois que c’est en grande partie à cause de Breton (…) une sorte d’immense raccourci pour me trouver moi-même. »
Extrait de la Biographie d’André Breton par Mark Polizzotti (Gallimard).
Cette rencontre a lieu en 1941, lors d’un voyage qui doit mener Breton vers New York, quittant la France et le régime de Vichy. Breton embarqué sur le Capitaine-Paul-Lemerle fait escale à Fort de France.
La photo ? Elle fut prise chez Pierre Matisse à New York, toujours extraite du même livre.
Un petit jeu : donner leurs noms ! Pour Césaire, c’est facile. Et les autres ?
Quand un crotale attaque… (2)
octobre 3, 2009 § 3 Commentaires
Vous voulez connaître la suite de l’histoire commencée hier ? Alors je continue.
fin de la première partie de Nanon …
Alors, dans notre conte, Nanon Voyons comment il utilise son procédé. La première phrase est la suivante :
La dernière :
Ce qu’il y a entre les deux ? Alambiqué, tiré par les cheveux, ceux qui sont en boucles blondes que Sylvestre porte sur lui. Il est gentil Raymond Roussel de vouloir transmettre son procédé de fabrication, mais ce n’est pas vraiment convaincant. Son procédé peut faire penser à une écriture sous contrainte. Roussel était-il un Oulipien qui s’ignorait ?
Duchamp a pris connaissance de l’oeuvre de Roussel quand il est allé voir avec Picabia et Appolinaire la représentation des impressions d’Afrique au théâtre Fémina en 1911. Tout de suite il s’est rendu compte que les techniques de Roussel pourraient s’adapter à sa peinture. « Roussel showed me the way dit-il dans une interview avec James Johnson Sweeney.


Partie d’un crotale en furie pour en arriver à Marcel Duchamp, c’est ainsi que va mon esprit.
Fin